Previously on La Saga Touillette

La sédentarisation de mon activité professionnelle Chandlerique m'a mené vers une sorte d'élitisme de la touillette. Je ne m'en suis jamais caché. Présentée dans l'épisode précédent, je n'avais d'yeux que pour elle. Sa forme parfaite, sa belle couleur blanche, ses petits trous géométriquement identiques qui invitent de manière aguicheuse mes petites dents pointues à venir s'y planter. Le petit rituel du démembrement méthodique de la touillette était devenu un plaisir. Le plaisir une habitude. L'habitude un réflexe. Le réflexe une manie. La manie une drogue. Oui. J'en étais dépendant. Si bien que le jour ou j'insultais ma mère lorsqu'elle me surprit en train de massacrer sa machine Nespresso qui ne me donnait pas ma dose de plastique quotidienne, je décidai d'agir.Il fallait pour cela s'éloigner de la tentation permanente, de la source. Je demande donc de changer de mission, et d'entamer ainsi une phase de nomadisme qui me permettra de ne point nouer d'attachement à une quelconque touillette.

Mais avant de partir, comme un condamné demande une dernière cigarette, où un pauvre participant à D&CO demande à voir une dernière fois son appartement avant le carnage, je m'autorise une dernière dose. Le long couloir menant à la machine parut s'étirer au rythme se mes pas...Point d'effet de style, juste que j'ai toujours trouvé trop long ce foutu couloir. J'ai opté pour un moment seul, un ultime tête à tête avec elle. Afin d'en garder un souvenir particulier, je tente une chose folle ; j'opte pour le café au lait. Un peu de fantaisie pour dédramatiser ce moment intense ne sera pas de trop.

Je met la pièce, enlève deux doses de sucre, enlève à nouveau une dose de sucre car je n'avais pas appuyé assez fort, après m'être demandé si le café au lait pouvait nécessiter plus de sucre que le café normal, je décide, afin d'éviter tout désagrément, de remettre une dose de sucre, puis d'en remettre une car je n'avais appuyé assez fort, je choisis "Café au lait" (en grains bien sur, quand on a un peu de classe, de goût, il est inconcevable de choisir les boutons du coté "café soluble". Enfin...).

La machine démarre, crache son sucre, prend en compte ma commande, la grave sur un morceau de bois (du cèdre), la propulse dans un tube à air comprimé afin qu'elle parvienne en Colombie à Marcelito, 9 ans, qui de ce pas, va chercher sur le caféier planté par son grand-père (Angelo) les meilleurs grains, puis les enveloppe dans petit mouchoir de soie brodé par sa grand mère (Raphaela), remet le paquet dans le tube à air comprimé, qui propulse alors le tout dans la machine de départ, là, sous mes yeux. Le paquet est alors "débrodé" fil par fil afin que chaque grain en soit extrait, puis pressé entre deux rouleaux de bois d'érable de manière à produire la poudre marron qui tombe alors dans mon gobelet. Le téléphone sonne alors chez Robert, à Evian. Mais pas n'importe quel téléphone. Non, le téléphone rouge. Alors il sait qu'il doit aller mettre le tuyau dans la source naturelle à coté de laquelle il vit, afin qu'il en aspire le plus de liquide qui sera propulsé de manière quasi instantané au travers d'un tube chauffant, dans mon gobelet alors vierge de liquide. Paul Milka et sa vache violette connaîtront le même appel.
Bon, forcément de l'extérieur, ça donne "tvvvvvrtt prft prft *sucre* krlk krlk krlk krlk krlk ssssssst *café* ____________(silence)________ TIC frol frol frol frol *eau + lait*. Ce qui est beaucoup moins sexy.
Oui, les machines à café aussi sont plus belles de l'intérieur que de l'extérieur.
C'est à cet instant qu'un déclic mécanique, suivi d'un bruit de chute de plastique vient traditionnellement accompagner le plongeon de la touillette dans le gobelet, tel Greg Louganis du haut de son plongeoir lors de la finale olympique de Séoul en 1988.
Mais là, le silence fut glacial. Après avoir attendu une quinzaine de minutes sans bouger, que la loi de la nature soit respectée, je me résout à quitter du regard le gobelet vide de touillette, et à le remonter lentement jusqu'à parvenir à la fourbe affichette :"plus de touillettes".
Ma vie fut un film de Buster Keaton au ralenti et sans les gags pendant de longues heures...Avant que ne revienne la couleur, que je souffle un bon coup, et m'y persuade d'y voir un signe du destin...